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« Toute richesse n’est que rosée sous le vent… »

Si l’auteur ne fait référence qu’une seule fois dans son ouvrage à son titre, Mā, sur une feuille de papier blanc, écrit d’un geste élégant par une radieuse et belle jeune fille, couvrant ainsi chaque ligne d’encre et ouvrant l’espace bien au-delà de l’intuition immédiate de la totalité, ne faut-il pas y voir pour l’auteur l’impermanence de la singularité du savoir au regard de la réalisation simple des choses de la vie ? Ne suffit-il pas d’un geste, un regard, une pensée, l’éventail des intervalles dans l’intimité de l’être pour unir ce qui sépare, comme pour mieux comprendre que la forme n’est que vide et que le vide n’est que forme, n’est-ce pas alors cela le pur éveil ?

Mais la vie, à quoi peut-on la comparer ? : « À la goutte de rosée secouée du bec de l’oiseau aquatique et sur quoi vient luire un reflet de lune… Si blancs que soient ces champs, si pur que soit un cœur, nous agissons toujours à tâtons, dans d’insondables ténèbres.

Où trouver la vérité ? La neige tombe et tourbillonne ».

Entrer dans le nouveau livre d’Hubert Haddad, Mā, c’est entrer dans un labyrinthe des histoires croisées entre Shōichi, Saori, telle une effraction de beauté, face à la réalité trompeuse, comme une rivière de montagne en travers des tatamis, qui vous fait renaître mille vies passées alors que l’on n’a encore rien vécu ! Que nous nous aventurons pas à pas, sur ce chemin, que personne n’emprunte, crépuscule d’automne, nous suivons peut-être la voie de l’oubli de notre histoire ; comme pour ne demeurer nulle part : doux et flexible le – vivant, l’esprit en paix avec le monde –, dur et robuste – l’inerte, ivre et parfaitement apaisé en soi – jusqu’au seuil des seuils, accompagnant l’homme Santōka, tel un mendiant, un moine, un haïkiste, un papillon de nuit, un être au seuil du temps de la nature, dans l’inséparabilité du corps-esprit, en éveil dans l’en deçà en quelque sorte…

C’est alors que rendre l’âme peut aussi s’adresser aux vivants comme pour prendre le chemin que recommandait le plus grand maître du bouddhisme japonais, Dōgen, à ses disciples : accompagner avec compassion, l’Illumination d’autrui, au mépris de leur propre délivrance et ainsi ouvrir à toute personne inconnue une demeure nouvelle.

Mais peut-on totalement se libérer de toutes envies, de toutes peurs puisque nos faiblesses sont en nous si « le reste n’existe pas » dans l’illusion du non-désir, aux dés jetés sur la table du casino de la vie et qui à chaque fois nous sort un numéro de femme à aimer, qui à chaque instant nous délivre du précédent coup de dé, comme une bulle qui éclate après une autre bulle, comme un instant qui nous rapproche un peu plus de notre solitude, « seul privilège de l’homme libre » errant dans le cycle sans fin des renaissances douloureuses, comme un être qui chaque nuit voyage en grand secret, fardeau des mémoires, pesant comme un cadavre de femme ! Mais alors quel poids d’appartenance l’illusion accorde-t-elle au voyageur sans attache ?

« Sur ce chemin

que personne n’emprunte

crépuscule d’automne…

Le voyage est ma demeure…

Mon bol

Rempli de pluie

J’y boirai si j’ai soif », Matsuo Bashô

Au Japon, la calligraphie et la peinture ont pour fondement l’art du trait, c’est l’essence même du signe. Hubert Haddad, en écrivant Mā, s’est attaché à écrire les « signes du vivant » comme un élément constituant cette vie du trait, notion si importante au Japon. La femme étant le plein, une beauté à peine dévoilée par les portes coulissantes du temps s’écartant à jamais sur un abîme du cœur et de la pensée. Le Saké ajustant l’intuition du vide, prémisse aux grands paravents d’ombres, à l’éveil des renoncements, face arrière du masque, miroir de papier où repose en chacun de nous notre douleur. Et enfin, le haïku unissant les cœurs.

Hubert Haddad a sans doute écrit son plus beau livre, non pas comme de beaux morceaux, mais tout simplement une œuvre qui préfère le labyrinthe de l’errance à la colonisation du voyage, ouvrant pour des lecteurs sensibles les voies lumineuses du détachement.

« Nous ne nous reverrons plus sur cette terre ni sur aucune autre. Quand tout s’effacera, au moins aurai-je un instant l’immense joie de te savoir vivante dans le soleil. Mon existence sans toi n’aura été qu’un chemin d’errance. Je vais disparaître en serrant tes mains vides contre mon cœur. Nous nous sommes tellement aimés que j’ai du mal à mourir… Une fois les jardins desséchés, elle cessera cette douleur d’aimer. Mais salut à toi, salut ! Il faudrait toujours se dire adieu sur un je t’aime ».

 

Marc Michiels

Tag(s) : #zulma, #Marc Michiels
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