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Au sein de cette Nuit de foi et de vertu, la plupart des poèmes s’ouvrent comme d’apparents récits, ont l’air de se dévoiler avec une narration traditionnelle. Mais la forme du vers, bien souvent, prédomine ; et même quand cette forme n’y est pas, un rythme s’impose tel qu’il nous fait entrer dans le courant d’une pensée, ou de plusieurs pensées, comme autant de temporalités, d’images, de tableaux, qui s’entrecroisent, malgré soi, qui se brouillent dans un même flux, cherchant à nous faire atteindre – peut-être – un sens à nos émotions. Cela voudrait-il dire que Louise Glück (ou l’énonciateur du poème) tend à un but ? Probablement moins qu’on ne le croie. Il semble plutôt que la poétesse tienne à exposer : on part d’un fait somme toute banal, qui, au fur et à mesure du déroulement continu du poème, prend des dimensions de plus en plus larges sur l’existence confrontée au temps, sur les questionnements et événements qui ont bouleversé une vie. Et tout ceci sans l’once d’une grandiloquence, mais plutôt en ayant l’air de passer, telle une ombre glissant devant une fenêtre ensoleillée, et en étant toujours relié au quotidien.

Le regard de Louise Glück est à la fois à l’intérieur de l’énonciateur, profondément ancré, et il est autant au-dessus de toutes choses, comme s’il embrassait l’entièreté des périodes d’une vie et les paysages qui y ont défilé. Aussi, le poème nous immerge dans un état – il est un état. Au détour d’une phrase entendue ou au bruit d’un ballon tombé dans l’herbe, une révélation passagère peut s’immiscer comme un courant d’air (encore est-ce au lecteur de l’affirmer) ; néanmoins, le poème ne donne pas de clés pour comprendre ce que nous sommes – il témoigne de ce que nous sommes, ou pourrions être, en forme de traversée.

La famille et la mort sont des thèmes récurrents dans ce recueil d’une grande élégance : l’émotion qui s’en dégage surgit dans une simplicité qui résonne si justement qu’elle en paraît facile (tout écrivain sait qu’il n’en est rien), et dans un épurement de l’expression tel qu’il étonne :

« Indeed, there are infinite endings. / Or perhaps, once one begins, / there are only endings. » / « En effet, il y a des fins infinies. / Ou peut-être, lorsqu’on commence, / n’y a-t-il que des fins » (Faithful and Virtuous Night / Nuit de foi et de vertu).

Romain Benini, le traducteur et préfacier du recueil, a assurément cerné les prédispositions à l’écriture de Louise Glück : « exprimer et interpréter, par bribes, par fragments condensés, cette condition si élémentaire qu’elle est insaisissable, la vie dans le temps ».

En 2020, Louise Glück a reçu le prix Nobel de littérature.

 

Nuit de foi et de vertu, Louise Glück, mars 2021, trad. anglais (USA) Romain Benini, 160 pages, 17 €

Tag(s) : #Poésie, #USA, #Gallimard, #François Baillon
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