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« Images pieuses »

Cette parution consacre à la fois l’écriture littéraire et photographique d’Angélica Liddell dans une version espagnole suivie d’une version française des textes, au centre de laquelle prend place une série d’autoportraits en couleurs (cinquante clichés). Les deux « matières » de la création fondent en quelque sorte l’esthétique de leur auteure en une série de fragments : en ouverture, comme dans un opéra, le thème, celui du lien intrinsèque entre amour et religion jusque dans l’acte sacrificiel : L’Espagne met dans la religion la férocité naturelle de l’amour (p.125).

Le texte Mes yeux blancs comme ton sperme prolonge cette entrée en matière et identifie justement l’univers iconographique de Liddell : revenir aux Saintes du grand peintre espagnol Zurbaran et d’abord au portrait du musée Fabre à Montpellier, Sainte Agathe, déjà célébré poétiquement par Paul Valéry en 1891, dans le recueil Sur quelques peintures. La peinture est d’ailleurs pour l’auteure action fondatrice de l’amour humain et de l’amour divin ; n’écrit-elle pas dans son poème La naissance de la peinture, ou ton image (p.137) :

J’ai dessiné au fusain le contour de ton ombre

J’ai juste besoin d’une ligne noire pour t’aimer

La peinture est née à nouveau

La photographie est une autre peinture. Les Saintes brunes, comme Liddell, de Zurbaran ont ici au cœur du livre peu à peu ôté leurs vêtements (cf. les quatre premières photos en robe) ; la mise à nu se fait progressivement à quelques exceptions près (le blouson de cuir ou la chemise et cravate, la combinaison, la robe en tulle, et la petite robe noire, aube d’enfant de messe). Le corps s’affirme avec les seins révélés, le tronc, le corps recroquevillé et celui des dentelles noires ou blanches voilé et dévoilé. Le corps est pose extatique, dont les grandes mains aux doigts effilés sont le précieux langage, dont le regard est imperceptible mouvement jusqu’aux yeux clos. La bouche ouverte enfin de la jouissance. Les mots ne commentent pas l’image ; ils l’accompagnent à distance :

C’est la gaze noire qui révèle (p.137).

Dessine-moi dénudée

Seulement si je suis dépecée (p.138).

J’ouvre ma bouche pour que tu poses ta langue sur ma langue (p.140).

Le texte creuse aussi les détails des photographies : présence de couronnes de fleurs (il y en avait déjà dans les œuvres de Zurbaran), écorchures sanglantes peintes sur le buste…

Tu dois seulement m’arracher un lambeau de chair là où tremblent mes seins (p.139).

Je vais te faire une couronne de marguerites et de bleuets

Je la placerai sur ma tête (p.140).

Ensuite vient le texte théâtral, devenu spectacle (à l’Odéon, Théâtre de l’Europe, en novembre 2015), Première épître de Saint Paul aux Corinthiens et sa cantate de Bach BWV 4, Christ lag in Todesbanden, cantate des temps de Pâques, composé d’abord d’un texte tiré du film de 1962, d’Ingmar Bergman, Les Communiants, et de la lettre d’amour de l’institutrice athée Marta, au pasteur Tomas qui a perdu la foi et qui n’aime pas en retour la jeune femme : elle est un avatar des figures des photographies, de l’auteure elle-même. Une autre lettre, celle de la reine du calvaire au grand amant sur plusieurs pages amplifie le lamento et l’élan vital d’amour.

Je suis l’amour dans tout son sérieux,

Dans toute sa divinité, dans toute sa ferveur.

Et toi, tu représentes le rôle salvateur et rédempteur du

Christianisme, absorbé par la relation de désir entre un homme et une femme.

Tu es le Grand Amant et je suis la reine du Calvaire (p.152).

La Parole est celle de la résurrection, de la Via Lucis de la joie pascale, celle du cycle des œuvres récentes d’Angélica Liddell.

Le texte se referme sur un court journal intime (Troisième offrande Lausanne / L’histoire occulte de ta vie (est celle qui existe à l’intérieur de moi), allant du 17 février 2015 au 19 mars 2015, jour de la première de la Troisième offrande). A l’écriture hallucinée, qui s’adresse à celui qu’elle aime, dans l’attente de son arrivée. Et ensuite une toute dernière page, celle de la mort, de la fin et du silence du nom de l’aimé.

La première épître aux Corinthiens. Cantate BWV « Christ lang in Todesbanden. Oh Charles ! » a été présenté à La Bâtie, festival de Genève le 28 août 2015, en espagnol, sur-titré en français, par Atra Bilis Teatro et repris dans le cadre du festival d’automne à Paris…

 

Marie Du Crest

 

Via Lucis, Continta Me Tienes, novembre 2015, trad. Christilla Vasserot, coédition bilingue, français-espagnol, 169 pages, 25 €

Tag(s) : #théâtre, #Espagne, #Les solitaires intempestifs, #Marie du Crest
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