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Tout d’abord quelques mots sur la question de la traduction que pose inévitablement ce recueil qui paraît chez Obsidiane en édition bilingue : doit-on reproduire avec fidélité ou trahir le texte original, s’effacer devant l’auteur ou faire du texte initial son propre texte ? Ici il semble que le parti est pris d’une traduction très proche du corps du texte. Il n’y a d’ailleurs ni bonne ni mauvaise attitude des traducteurs, si seulement elle nous oblige à réfléchir sur la présentation face à face du texte anglais et de la traduction. Ce qui est le cas avec ce présent recueil de 50 sonnets d’une couleur sombre et profonde. Être très proche du texte original permet au lecteur français de reconstruire la versification anglaise dans celle, différente, de la versification française (par exemple du rythme du pentamètre iambique jusqu’à des formes neuves de rythmique).

 

The time we wept in yet have no tears to dry. / Où nous pleurions, bien que nos yeux soient secs.

Mimics these infantile infinities. / Singe ces infinités infantiles.

Find that I’ve said the things I cannot say. / Je crois que j’ai dit des choses impossibles à dire.

Cela dit, il reste à expliquer en quoi cette poésie est une expression de la limite, du bord, de tremblement, du glissement. En l’occurrence, il faut simplement se répéter la formule de René Thom, qui voit dans le bord l’expression de la forme. Le bord, c’est la chose ; ce qui, rapporté là, nous indique la voie mélancolique et un peu morbide que suivent les sonnets, la déploration, quelque chose d’inspiré et de fort. Et cela grâce aux limites de la vie elle-même, dont le poème retient la disparition, en signe l’effacement, en délimite les contours. Il s’agit d’une poésie du bord car arc-boutée au vivant, à cette dernière flamme que nous portons tous, mais une seule fois, là où se côtoient les deux questions fondamentales de toute métaphysique : l’origine et la fin.

 

La vie dont je meurs traverse la mort que je vis

Corrompant même le mal avec le mensonge

De l’immortel envers l’éternité :

Elle vit dans l’effroi de la négation de la vie.

Je ne veux pas partir. Je ne donnerai pas

La mort que je vis à la vie dont je meurs ;

Ou espérer qu’elle révèlera ce que je nie

Et je ne mourrai pas, bien que je ne puisse plus vivre.

« Courage, ô chanteur, disent tes membres silencieux,

Tu chantes le silence mais le chant qui obscurcit

Tous les chants nous blanchit toi et moi dans le sommeil

Et ne laisse aucune rumeur là où peut se glisser un doute ».

J’arrête mes chants, stationne à côté de ton lit,

Et je te ferme les yeux – car tu es mort.

 

Il se s’agit pas dans cette poésie du figuier maudit de Marc, mais d’un arbre donnant des fruits, justement parce qu’il symbolise un ensemble complexe de sentiments de la vie. Cette poésie n’est pas arbre sec, mais fructifie tout comme tout mycélium, arbre de vie plus fort qu’arbre de mort, y compris en relation avec la vanité folle de notre existence ici-bas. C’est cela à quoi fait appel le lecteur de Burns Singer qui cherche une vérité solide dans un monde meuble. Et seule la mort, tout compte fait, reste la vérité absolue.

Cependant, puisque nous voudrions conclure, répétons que cette poésie est celle de la vie, une poésie de la vie de l’être, qui nous confirme, qui nous installe dans une philosophie d’exister, dans une ontologie, une science de l’être et de l’étant. Et cela sans rien cacher de ce qui fait la faiblesse propre de l’être humain, captif de sa nature, et sujet à la contemplation de sa fin. Donc, une poésie qui redit la relation à et la totalité de notre énigme.

 

Tu es incapable de me trouver une image pour figurer

La connaissance de notre ignorance des morts.

 

Didier Ayres

 

Sonnets pour un homme mourant, 2017, trad. Anthony Hubbar et Patrick Maury, 15 €

Tag(s) : #Poésie, #Obsidiane, #Didier Ayres, #Îles britanniques
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