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Cette mince plaquette donne à lire des poèmes de Beckett écrits entre 1930 et 1976 et restés inédits en français.

L’intérêt de cet ensemble, outre le caractère inédit des textes, tient à l’aperçu (saisissant) qu’il donne de l’évolution stylistique considérable qu’a suivie (ou subie) Beckett entre ces deux pôles temporels.

En effet, le Beckett des années trente s’illustre dans un style baroque, quelque peu excentrique, qui donne à voir et à penser une culture protéiforme dont le sérieux est constamment contrebalancé par un sentiment d’exubérance vrillé au corps du poète. Il n’est pas avéré que le baroque de cette écriture soit la résultante de la fréquentation que fait Beckett, à cette époque, des dadaïstes et des surréalistes.

Bien sûr, Whoroscope, le poème de quatre-vingt-dix-huit vers qu’écrivit Beckett – suite à un concours – sur la vie de Descartes, telle qu’elle fut décrite en 1691 par Adrien Baillet, est miné de l’intérieur par un souci de bien faire dont se départira bien vite le poète, mais ces nuances mises à part, déjà, alors même que Beckett débute (en juin 1930, il est encore lecteur d’anglais à l’Ecole Normale Supérieure), il apparaît qu’il a un style bien à lui, même si sa voix d’alors se tient extrêmement éloignée du style que nous connaissons, pour ce qui est du moins de sa poésie, de celui avec lequel le nom de Beckett a fini par se confondre.

Quel est ce style qui est pour nous lecteurs du XX° et du XXI° siècle inéluctablement rattaché au nom de Beckett ?

Même s’il est impossible de le résumer en quelques mots, l’on pourrait dire que c’est une sculpture du petit corps de la langue, habile et malhabile à la fois. Cette seconde caractéristique étant recherchée : l’on est face à un babil de la langue, et plus exactement à un ressassement du babil de la langue qui se confond parfois avec le murmure de l’au-delà des choses, de l’au-delà des êtres, qui est cette contrée sauvage où rien n’est plus, hormis le silence, la stupeur, bouche cousue ; qui est cette contrée sauvage où prend racine le dépérissement.

La sculpture du petit corps de la langue (semblant si mou et si dur à la fois) a lieu dans le dépouillement, l’appauvrissement continuel, dans la conscience de l’inéluctable, de la chute et de la fin, dans l’éblouissement du silence aussi.

« puis de là / narcisses / encore / mars alors / en marche encore / surprenant / encore / pour un être / si petit » (là-bas).

« pourquoi pas simplement les désespérés / d’avoir parfois / répandu un flot de mots // ne vaut-il pas mieux avorter qu’être stérile » ; « le barattage des mots rances dans le cœur encore / amour amour amour bruit sourd du vieux pilon / broyant les inaltérables / grumeaux de mots » (Cascando).

Une déception toutefois pointe dans cette édition : ne figurent pas les poèmes dont Samuel Beckett avait interdit la réédition ou la publication. Certains pourtant mériteraient d’être connus en France.

Et puis, combien de fois faudra-t-il redire aux éditions de Minuit qu’il est scandaleux d’empêcher la publication des Œuvres complètes de Beckett dans la Bibliothèque de la Pléiade ? Avoir, en un seul volume, l’ensemble de cette œuvre capitale du XX° siècle (1), revêt, plus que jamais, les traits de la plus criante nécessité qui soit.

 

Matthieu Gosztola

 

(1) Capitale aussi en ce sens qu’elle a – est-il seulement besoin de le mentionner ? – influencé, à un degré plus ou moins important, de très nombreuses œuvres contemporaines.

Tag(s) : #Poésie, #Minuit, #Matthieu Gosztola, #Îles britanniques
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