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Dans ces nouvelles de Shelby Foote – autant de pépites – on trouve deux textes qui constituent de véritables courts romans : Crescendo final et L’enfant de la Fièvre (qui donne son titre à ce recueil). Autant le dire dès l’abord, on a en mains d’authentiques joyaux littéraires, qui viennent se placer au plus haut dans la littérature sudiste.

Avec Crescendo final, on retrouve le Sud pauvre et douloureux de « tourbillon »*. Comme il le fait souvent, Foote commence par ce qui est fréquemment la fin chez d’autres auteurs. Il décale ainsi toutes les interrogations du lecteur sur ce qui, chez les personnages, surdétermine les actes et les destinées. Le pauvre héros attend dans le couloir de la mort son exécution. Le récit sera donc la trajectoire qui l’a mené là, le destin inexorable dans lequel rien n’aura pu le sauver. Ni son talent, ni son succès, ni l’amour inquiet de sa mère.

Duff (Durfee Conway) est un jeune Noir né dans la misère – c’est un pléonasme pour les Noirs dans les années 1910. « Il était né lors d’une grande crue en ce mois tumultueux de mai 1913, dans une tente de la Croix-Rouge, sur la digue, au pied de la rue principale de Bristol, Mississippi. Sa mère avait eu quinze ans un mois auparavant ». Son destin est tracé, dans la douleur et la pauvreté. Très vite il va se retrouver en maison de redressement. Et puis c’est la rencontre avec le cornet.

Oui, le cornet, cet étrange instrument à vent, descendu du cor, très à la mode en cette époque dans les formations de Jazz. Cette rencontre va donner un autre cours à la vie de Duff. Il est brillant, devient célèbre dans tout le Sud et bien au-delà. Sa musique est un déferlement inouï de brio et de rage.

« […] vers la fin du chœur, comme si la pression avait atteint le niveau qu’il cherchait, le joueur leva la tête, le cornet au-dessus de son visage, et toute l’énergie contenue sembla se déchaîner tout à coup, passant avec violence sur tout ce qui s’était produit auparavant. Elle atteignit la limite que l’oreille se refuse à franchir, cette frontière lointaine du royaume du son qui s’élève, invincible et fière, au-delà des bornes de toutes les musiques que Van avait entendues jusqu’alors ».

La musique de Duff dépasse de loin le cadre de la musique. Elle se fait métaphore des misères, des colères, des rages, de la tragédie d’un peuple encore écrasé et silencieux.

Il gagne de l’argent, séduit les filles, aide sa mère. Son succès va grandissant. Mais un destin est un destin. Nul n’y peut échapper. La gueule grimaçante de la fatalité l’attend au tournant et va le briser. La chaise l’attend « basse, large, avec de gros bras, de gros pieds, la chaise semblait inachevée. On aurait pu croire que, mécontent de soi, l’ouvrier, copiste maladroit des meubles Louis XVI, avait laissé tomber ses instruments et s’en était allé ».

L’enfant de la Fièvre change radicalement de registre. On est chez les Blancs, riches, planteurs. Shelby Foote y glisse la main du Diable. Le Sud, toujours et encore, plus proche de celui familier des grandes sagas façon Autant en emporte le vent. Mais sans la brillance, sans les flots de sentiments. Le Sud des planteurs mais sombre, désespérant, comme le destin d’Hector qui connaîtra toutes les souffrances. Foote raconte un chemin terrifiant qui mène à l’horreur. Il nous livre là une nouvelle (encore une fois c’est un véritable court roman) qui fait pendant à celle dont nous parlons un peu plus haut. Une naissance heureuse mène ici aussi à un destin terrible. Le Mal est dans les êtres, la haine à l’état brut, la Destruction. L’écriture de Foote a toujours un rythme biblique, mais il se fait encore plus chair dans la narration de cette descente aux enfers.

« Il se leva, tenant la hache à deux mains, traversa la chambre et, debout près du lit, la regarda dormir. Quelque chose la troubla juste à ce moment-là : elle s’agita un peu, avec une faible plainte et par le V de sa chemise de nuit un sein émergea, ainsi que se déverse une pâte liquide. Comme un petit visage aveugle ce sein le regarda, ce sac pendant de viande de femme, et il frémit alors d’une colère plus intense que toute la haine qu’il avait connue jusque-là ».

Sombre voyage dans les âmes humaines que ce recueil. Mais quel époustouflant miracle de littérature !

 

Léon-Marc Levy

 

L’Enfant de la fièvre (Jordan County), traduit de l’américain par Maurice Coindreau et Claude Richard, 361 p. 10 €

Tag(s) : #USA, #Gallimard, #Léon-Marc Levy
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